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Blog d'Etude de la Culture Visuelle Moderne
27 décembre 2009

La Mélancolie de Haruhi Suzumiya - Saison 2

Le Mélancolie de Haruhi Suzumiya

Saison 2

réalisé par Ishihara Tetsuya, d'après l'oeuvre de Nagaru Tanigawa

Japon : 14 épisodes de 23 minutes (série terminée) - Kyoto Animation - 2009

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Histoire:

La suite des aventures sensationnelles et époustouflantes de l'unique et fantastique Brigade SOS, menée d'une main de maître par la terrible (et adorable) Haruhi Suzumiya. Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore ce singulier personnage, ainsi que l'univers haut en couleurs qui gravite tout autour du nombril de cet étrange être en deux dimensions, je vous renvoie à ma fabuleuse, superbe, grandiose et extraordinaire critique de la première saison. Et pour ceux qui ont déjà pu admirer les exploits initiaux de la déesse/petite peste, mais qui n'ont pas encore eu la chance de découvrir ses dernières prouesses, je me dois de vous avertir : ce qui suit contient plusieurs sources de spoil inévitables.

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Critique:

Autant le dire tout de suite : j'ai complètement adoré cette seconde saison de La Mélancolie de Haruhi Suzumiya. Pour quelles raisons ? Commencons donc avec le plus gros poisson, le fameux Endless Eight. Sous ce petit nom effrayant se cache huit épisodes, soit un peu plus de la moitié de la série, dont le contenu a su faire trembler une multitude de fans d'animés dans le monde entier. Comme pour la diffusion TV, intelligemment désordonnée, de la délicieuse première cuvée de 2006, avec Endless Eight, Kyoto Animation s'est amusé à développer un nouveau concept original et déstabilisant, dans le but plus ou moins avoué de créer un Buzz, mais aussi de pousser jusqu'au bout, jusqu'à des frontières dangereuses et autrefois méconnues, leur propre réflexion sur le difficile exercice qui découle de tout travail d'adaptation : apporter un plus, une valeur ajoutée à l'oeuvre d'origine. Je ne parle pas ici de quelque chose rendant objectivement meilleure l'oeuvre adaptée, mais d'une chose au moins assez différente ou nouvelle pour justifier l'intérêt d'une telle adaptation. Et si bien souvent, par rapport à un light novel (roman léger et illustré comme l'est celui de Harui Suzumiya dans son édition japonaise) ou un manga, le fait de voir les divers personnages qui en sont tirés se mettre simplement à parler et à bouger devant nos grands yeux d'otakus émerveillés semble suffire aux studios en charge de leur production ; certains réalisateurs, comme Ishihara Tetsuya vraisemblablement, préfèrent toutefois essayer de rajouter quelques épices plus fortes au plat principal, afin de donner une autre saveur à ces aliments de l'esprit, de créer une nouvelle recette à partir de la première, une recette qui sera alors à la fois différente et complémentaire de celle que l'on aura déjà goûté auparavant.

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En pratique, Endless Eight, ça donne ça : un même épisode passe en boucle huit fois (enfin, plutôt sept en réalité, le premier épisode de la boucle ne comportant pas encore plusieurs scènes communes à tous les autres) et à chaque fois, il est totalement re-dessiné, re-animé, re-réalisé et re-doublé. Certains éléments comme les vêtements des personnages, des bouts de dialogues ou d'autres détails plus ou moins importants sont eux aussi modifiés de temps en temps, mais jamais de manière assez notable pour que l'on puisse sortir de cette impression de déjà vu que tend à instaurer le visionnage de ce troublant enchaînement de clones animés. Un sentiment de déjà vu, c'est exactement ce que vont d'ailleurs ressentir Kyon et Koizumi au fil de ces épisodes ; car le concept d'Endless Eight n'est évidemment pas bêtement posé sur n'importe quel passage des romans pris au hasard, sans aucune justification : ici, les membres de la Brigade SOS se retrouvent coincés dans une boucle temporelle, leur faisant revivre encore et encore les mêmes vacances d'été, tout comme nous revoyons encore et encore le même épisode. Mais nous aurions alors, dans ce sens, plutôt tendance à nous identifier au splendide personnage de Yuki Nagato. En effet, mis à part elle, personne ne se souvient réellement des boucles antérieures qu'il a déjà vécu (les deux membres masculins de la Brigade, grâce à leur proximité avec Haruhi, n'ayant qu'une intuition diffuse de la réalité de cette même boucle temporelle). Et quand cette dernière nous apprend le nombre hallucinant de fois où ces deux semaines se sont répétées, nous ne pouvons alors que nous demander, comme le fait Kyon à l'instant même où nous y pensons, comment est-ce que l'on peut ainsi revivre, inexorablement, des événements pratiquement identiques pendant une période ne semblant jamais prendre fin, sans pour autant mourir d'ennui ou devenir totalement cinglé ?

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La réponse à cette question se trouve peut-être justement dans l'expérience jusqu'au-boutiste qu'est Endless Eight : certes, les jours se répètent et se ressemblent sans cesse pour Nagato comme pour le spectateur abasourdi ou exaspéré, mais le simple changement de ce qui peut souvent apparaître comme d'invisibles broutilles (les différentes couleurs, plans, vêtements, animations, bouts ou ordre des phrases...) nous permet de rentrer, presque malgré nous, dans une acceptation à la fois douce et douloureuse de la répétition continuelle d'instants n'ayant pourtant, à première vue, aucun intérêt. A mon humble avis, on se trouve ici en face d'une sorte de métaphore exagérée du quotidien que grand nombre d'entre nous ont certainement tendance à vivre, peut-être sans même s'en rendre compte. Sur cet aspect, l'Endless Eight ressemble effectivement beaucoup à la célèbre et déprimante boucle temporelle du "métro-boulot-dodo". Quels souvenirs avez-vous exactement de ce que que vous faisiez à la même heure, la semaine dernière, le mois dernier, l'année dernière ? Nous ne vivons pas tous les jours des choses exceptionnelles, 90% de ce que nous expérimentons est même probablement voué à se perdre à tout jamais dans les méandres de notre obscur subconscient. De combien de journées pouvons-nous réellement dire qu'elles furent sensationelles, marquantes, importantes, ou tout simplement différentes des autres ? Endless Eight est, paradoxalement (vu que la bougresse en est a priori la cause), le paroxysme de ce que cherche à fuir Haruhi Suzumiya : une vie ennuyeuse et répétitive, où la subtile altération de quelques points précis suffit pour nous y enfermer à tout jamais.

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Comment pouvons-nous alors nous évader de la banalité d'une existence dont la plupart des moments, même les plus agréables (ne dit-on pas qu'on se lasse de tout ?) sont bien trop souvent récurrents ? Une fois encore, un début de réponse nous est ici fourni par KyoAni : la sauvegarde de notre santé mentale ne pourra s'effectuer que grâce à l'intrusion, dans notre quotidien, du quotidien d'une autre personne : grâce à cette touche de véritable inconnu que seul quelqu'un d'autre, quelqu'un qui pense (ne serait-ce que sensiblement) différemment de nous, peut insuffler au triste cycle de nos aspirations égoïstes et, par là même, incapables de découvrir d'elles-mêmes de nouveaux horizons. S'ouvrir aux autres et à leurs désirs, plutôt que de toujours imposer notre propre volonté à ces derniers : voilà la seule porte qui nous permettra de sortir de la boucle de l'ennui et du refermement sur soi. Non pas que leur vie soit forcément spectaculaire ou plus paltitante que la notre, mais elle en est au moins différente : leur quotidien reste un quotidien, au même titre que le notre, mais celui-ci, altéré par la vision personnelle de celui qui le vit à chaque instant et modifié par le combat que ses propres aspirations mènent contre le poids des obligations journalières qui l'écrasent inévitablement, ce quotidien donc, est alors indubitablement et bienheureusement disctinct du notre. De combien de journées pouvons-nous réellement dire qu'elles furent sensationelles, marquantes, importantes, ou tout simplement différentes des autres ? A cette question, vous ne pourrez sûrement pas donner les dates exactes des jours ayant encore un écho considérable dans l'océan trouble de votre esprit, mais vous pourrez certainement remarquer que vos souvenirs les plus frappants sont, en majeure partie au moins, ceux où vous êtes en compagnie d'autres êtres humains, voire ceux où ce sont ces mêmes personnes qui vous ont permis, invité ou poussé à vivre tel ou tel événement mémorable, ou encore ceux où vous avez lu ce livre, écouté cette musique ou vu ce film qui vous ont tant touché, soit ces précieux moments où vous étiez ouvert au discours de quelqu'un d'autre que vous-même, où votre volonté et votre voix intérieure se sont tues, ne serait-ce qu'un instant, pour pouvoir s'abreuver de la richesse et de la beauté du monde extérieur.

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La solution de Kyon pour sortir Haruhi, et par conséquent tout l'univers, de la satanée boucle temporelle où ils sont depuis si longtemps retenus, n'a rien d'extraordinaire : il ne propose pas de sauter du haut d'un building enflammé en chantant à tue-tête le vieux générique des Schtroumpfs ou de manger des yeux de singe en portant un costume en latex tout moulant (Hum.. sur Haruhi, ça serait quand même...), ni de prendre un fusil pour descendre tous les élèves de sa classe dans la joie et la bonne humeur ou, pire encore, d'aller gaiement à une réunion de scientologues ; il propose seulement, au contraire, une chose presque idiote et tellement anodine que certains pourront même être largement déçus par cette (plus ou moins) inattendue issue. Car dans ce genre de situations, pour le problème dont nous parlons ici, l'important n'est pas véritablement ce que l'on propose, mais le fait même de proposer quelque chose, de faire une proposition, et d'élargir ainsi le champ de vision des gens que l'on aime, de les faire sortir, le plus simplement du monde, du cercle fermé et étouffant de leur propre ego. Je tiens cependant à préciser que tout ce que je viens de clamer haut et fort n'est en rien une vérité ultime et incontestable : ce ne sont là que mes propres interprétations face au ressenti que j'ai eu lors de ma première vision du controversé Endless Eight. Mais je tends à penser que de telles suppositions n'auraient jamais vu le jour dans mon petit cerveau débridé sans le traitement particulier que Ishihara Tetsuya a ainsi appliqué à ce court passage du roman original. Et peu importe, au final, si cette direction prise par l'adaptation n'est en vérité que le résultat d'un odieux coup marketing, car celle-ci m'aura tout de même fait vivre et ressentir des choses que je ne m'apprêtais pas à vivre et à ressentir. De la même manière que Kyon l'a fait pour Haruhi, Endless Eight m'a surpris et m'a permis, le temps de quelques épisodes de vingt-trois minutes, de m'évader de mon quotidien, de m'envoler au-dessus de lui, de le surplomber, de l'admirer sous un nouvel angle, et de me rappeler ce que j'ai tendance à oublier trop souvent, ce qui est vraiment important : que la vie est une découverte de chaque instant.

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D'une manière générale, la thématique du "temps qui passe" semble être au centre de cette deuxième saison de La Mélancolie de Haruhi Suzumiya. Le premier épisode, Rhapsodie de feuilles de bambou, s'intéresse plus profondément aux pouvoirs de Mikuru, c'est-à-dire aux voyages dans le temps, tout en donnant, de cette manière, encore plus de consistance à l'univers présenté, aux relations entre les personnages (pourquoi Haruhi pensait avoir déjà vu Kyon avant leur première conversation, par exemple) et à l'aspect science-fiction dans lequel baigne constamment l'animé (Yuki est juste trop démentielle). Entre trois années qui passent en une nuit, un Kyon du présent renvoyé dans le passé par une Mikuru du futur, pour y rencontrer une Haruhi du passé et une Mikuru du futur de la Mikuru qu'il fréquente dans le présent (mais qui vient aussi du futur, celle qui l'a amené dans le passé... mal à la tête), le temps nous apparaît comme une chose insaisissable et précieuse, une chose à la fois instable et figée, selon l'oeil avec lequel on la regarde, selon la position que l'on adopte face à elle et la place que l'occupe en son sein. Quant aux cinq derniers épisodes, Les Soupirs de Haruhi Suzumiya, le temps s'y égraine lentement, le temps y prend son temps. En effet, l'histoire qui nous est ici contée aurait très bien pu être tronquée, raccourcie, et ainsi facilement tenir dans vingt-trois ou, au plus large, quarante-six minutes, mais c'est sur quasiment deux heures que celle-ci va cependant s'étaler, comme si chaque ligne du roman avait été parfaitement retranscrite dans ces cinq épisodes (qui n'en sont pas moins captivants pour autant). On suit alors la Brigade SOS dans sa réalisation du film qui servit d'introduction à la première saison, dans un rythme lent mais agréable, qui instaure ainsi, l'air de rien, une ambiance particulièrement saisissante par rapport au reste de la série : l'énergie positive et communicative que dispense habituellement Haruhi est ici remplacée par une atmosphère presque lourde et, par moments, dramatiquement sérieuse. Si de fraiches touches d'humour sont toujours présentes, les caprices du personnage féminin au centre de cette "bizarroïde mélancolie" atteignent néanmoins, dans certains passages de ces "soupirs de la même demoiselle", un summum de cruauté, à la limité du soutenable (toute proportion gardée : c'est pas La Colline à des Yeux, non plus). Jamais le danger sous-jacent à la personnalité explosive et au statut anormal de la turbulente lycéenne japonaise, n'aura été aussi flagrant, aussi oppressant et impressionnant qu'il ne l'est lors de la mise en boîte du drôlatique navet cinématographique que la princesse Haruhi s'est mise en tête de tourner. Dans cette optique, le temps est ici savamment utilisé afin de créer des silences pesants et une cadence proche du temps que l'on expérimente réellement, nous donnant ainsi l'illusion de la vérité du présent et l'illustration de la peur de l'instant, comme lors de ces moments où le temps semble se figer éternellement.

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Une fois de plus, Kyoto Animation a donc utilisé des concepts, des astuces et des techniques de réalisation ingénieux pour soutenir leur propre vision de La Mélancolie de Haruhi Suzumiya. Loin de seulement fournir le minimum syndical, comme on dit, Ishihara Tetsuya et son équipe nous offrent, avec cette seconde saison, une plongée en apnée dans un monde surprenant et sans concessions : une mer tumultueuse où éclats de rire et sombres pensées se croisent naturellement sous la lumière éclatante d'un soleil incandescent. La Mélancolie de Haruhi Suzumiya était surtout à mes yeux un fantastique divertissement, elle est aussi maintenant pour moi, une oeuvre intelligente et profonde, nageant défintivement et confortablement aux côtés des plus grands.

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Commentaires
D
(et merci Nautawi pour avoir remarqué cette horrible faute : c'est maintenant corrigé)
D
Merci à tous pour vos commentaires ^^
C
Jolie interprétation :)
A
Bon texte en lui-même, mais qui met un peu la tête dans le buisson à l'instar de tous les blogs arouistes.<br /> <br /> L'arrivée du long-métrage de Haruhi le 06 Février au Japon confirme ce que certains sceptiques avaient tôt soupçonné, à savoir que Endless 8 n'était pas un coup d'audace, une oeuvre à message ou une expérimentation d'outre-monde issue d'avant-gardistes effrontés, mais avant tout une astuce pour placer un maximum de l'équipe sur le film en douce, à l'insu des nigauds. Les délais sont on ne peut plus explicites, même si les kyoanistes semblent s'être donné le mot pour ne surtout rien dire à ce sujet.<br /> <br /> Plutôt que d'admettre l'étrange occurrence, ils en remettent une couche encore et encore, entamant ainsi un peu plus la crédibilité de leur anime favori qui n'en demandait pas tant.
F
Décidément, la "sur-interprétation" des animes permet d'écrire de très beaux textes, bravo !
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