Un Monde Formidable
Un Monde Formidable
(What a wonderful world !)
de Inio Asano
Japon : 2 tomes (série terminée) - Shogakukan - 2003
France : 2 tomes (série terminée) - Kana - 2006
Histoire:
Des étudiants à la ramasse, une jeune office lady complètement alcoolique, un ancien punk devenu salaryman, un éditeur de magazine undeground se tuant au travail, un humble mangaka divorcé, un couple vivant de petits boulots, une collégienne victime d'ijime (harcèlement et brimades répétées sur un individu - phénomène fréquent dans le milieu scolaire japonais), un employé de conbini totalement blasé, un petit génie détestant son père ou encore un yakuza en costume d'ours, le tout enveloppé par l'ombre d'une étrange maladie et celle de non moins intriguants shinigamis (dieux de la mort) : la vie à Tokyo dans un éventail d'histoires croisées à la fois originales et réalistes, dures et touchantes, banales et étonnantes.
Critique :
Un Monde Formidable est une oeuvre qui occupe une place toute particulière dans mon petit coeur d'avide dévoreur de mangas : c'est tout simplement l'une des bandes dessinées japonaises dans laquelle je me reconnais le plus à ce jour. La raison de ma connection personnelle avec ce travail d'Inio Asano se trouve évidemment dans le fait que celui-ci nous présente ici une foule de personnages et autant d'histoires parmi lesquelles au moins l'une d'entre elles fera inévitablement écho avec nos propres expériences (le récit d'Horita, le musicien qui abandonne ses rêves de gloire pour une vie rangée et plus stable, me parle directement par exemple - ok, tout le monde s'en fout), mais aussi et principalement dans les thèmes abordés par ces dernières d'une manière plus générale, prises dans une vue d'ensemble. Entre une réflexion sur la vie et le passage à l'âge adulte, un questionnement sur la société moderne et la possibilité de trouver sa propre voie au sein de ces nouvelles cités tentaculaires, et une méditation sur l'amour de l'autre et l'acceptation de soi, l'auteur nous dépeint le combat ordinaire de différents individus reliés par un seul et même but : la recherche universelle du bonheur. Dans une superbe mosaïque d'aspirations aussi diverses que variées, Inio Asano nous dévoile alors l'identité du plus grand des obstacles faisant barrage à la réalisation de ce état de paix que nous poursuivons tous, tant bien que mal : nous-même. Tiraillés par d'innombrables désirs contradictoires, incapables d'apprécier à leurs justes valeurs les choses que nous possédons déjà, indécis et effrayés par l'idée de devoir assumer les décisions que nous prenons, nous courons à toute vitesse dans une interminable et épuisante fuite en avant. Dans ce sens, même si toutes les tranches d'âges se retrouvent au long des deux tomes du manga, la période des 20-30 ans est particulièrement mise en avant par l'auteur, celle-ci étant la plus représentative de la réalité de son message : une fois le lycée terminé, nous trouvant alors à la croisée des chemins et face à une inhabituelle et vertigineuse liberté, nous pouvons en effet nous sentir véritablement perdus et désorientés, ne sachant plus du tout dans quelle direction aller, de la même manière qu'un animal apprivoisé brutalement abandonné au bord d'une route désolée, sous la chaleur d'un brûlant soleil d'été. Chaque pas nous semble à présent lourd de conséquences, car c'est de notre propre chef que nous nous dirigeons maintenant sur tel ou tel chemin, assumant de force l'entière responsabilité de tous nos actes manqués. Certains d'entre nous seront peut-être même paralysés par la vision singulière de leur cage ouverte sur un monde inconnu et inquiétant ou par la peur de vivre avec de trop nombreux regrets et subiront ainsi de plein fouet les terribles conséquences d'une malheureuse inaptitude à faire le moindre choix. Mais devant cette époque charnière de notre vie, Inio Asano nous conseille alors de prendre exemple sur nos aînés (l'histoire du vieux vendeur de ramen - nouilles japonaises), mais aussi sur nos enfants, dont la force naturelle est le plus puissant des encouragements à la vie (comme lorsque ce mangaka divorcé observe sa fille se relever après une légère chute, certainement l'un des passages les plus dépouillés et marquants de l'oeuvre). Un Monde Formidable, avec sa douce philosophie en même temps concrète et positive, profonde et accessible, est clairement mon plus gros coup de coeur du moment : un manga à découvrir, à lire et à relire, et à relire encore, à chaque fois que l'on a un coup de blues ou que l'on se sent égaré devant l'immensité des possibilités qui se présentent à nous, à chaque fois que l'on veut baisser les bras ou que l'on désire faire marche arrière, et à chaque fois que l'on doute, ne serait-ce qu'un instant, de la beauté de la vie. Car la vie est belle, les amis !
P.S : Je précise que pendant la rédaction de cet article, je portais un déguisement de chat rose bonbon tout en écoutant un fantastique vinyl de Chantal Goya...
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